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Pierre Rabhi LE MANIFESTE "OASIS EN TOUS LIEUX"

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Vortex bonheur

Vortex bonheur

Pierre Rabhi
LE MANIFESTE "OASIS EN TOUS LIEUX"


Ont collaboré à la rédaction de ce Manifeste : •Adriana BASILISCO • Hermine BURREL-COUTURON •Jean-François COLON • Dominique FOUQUET •Dominique GALLIANO • Vincent JANNOT •Roger LEBEAU • Alain LEBESGUE
•Nathalie SOSSO • Albert SOYEZ

PRÉAMBULE

Le vingtième siècle finissant a été dominé par la connivence de la science et de la technique au service du « progrès ». Certes, des processus considérables ont été réalisés dans divers domaines, mais qu'en est-il du destin des humains et de celui de la planète qui les héberge ?
Dans cette épopée matérialiste, la violence de l'homme contre l'humain n'a jamais atteint des seuils aussi désastreux et la création a subi des détériorations sans précédent. La technologie au service de la destruction nous donne, pour la première fois de notre histoire, le pouvoir de nous éradiquer totalement.
Ces constats rendent plus que jamais nécessaire et urgente une alternative globale. Nous sommes de ceux qui pensent que le XXIe siècle ne pourra être sans tenir compte du caractère sacré de la réalité, et sans les comportements et les organisations qui témoignent de cette évidence, car les bons voeux, les incantations, les analyses et les constats cumulés ne suffiront pas. La première utopie est à incarner en nous-même. Car les outils et les réalisations matérielles ne seront jamais facteurs de ce changement s'ils ne sont les oeuvres de consciences libérées de ce qui les maintient dans le champ primitif et limité du
pouvoir, de la peur et de la violence.
La crise de ce temps n'est pas due aux insuffisances matérielles. La logique qui nous domine, nous gère et nous digère, est habile à faire diversion en accusant le manque de moyens. La crise est à débusquer en nous-même dans cette sorte de noyau intime qui détermine notre vision du monde, notre relation aux autres et à la nature, les choix que nous faisons et les valeurs que nous servons. Incarner l'utopie, c'est avant tout témoigner qu'un être différent est à construire. Un être de conscience et de compassion, un être qui, avec son intelligence, son imagination et ses mains rende hommage à la vie dont il est l'expression la plus élaborée, la plus subtile et la plus responsable.
Pierre Rabhi Montchamp, mars 1997

SOMMAIRE

Les constats • 4
Croissance économique ou développement humain ? 5
La nécessité d'une alternative 5
Changer de référence 7
La logique du vivant 7
Primauté de l'éducation 8
Les propositions 9
Les oasis en tous lieux comme une des alternatives
à l'impasse qui se confirme aujourd'hui 10
Où en sommes-nous ? 12
Les fondements 13
Implication locale 14
La terre nourricière et la sécurité alimentaire comme fondement
écologique, économique et éthique des Oasis en Tous Lieux 15
Habitat et « Oasis en tous Lieux » 17
Proposition d'organisation pratique 19
Espace individuel, espace collectif 19
Les aînés dans les Oasis en Tous Lieux 20
Autres réflexions 21
La pluriactivité 22
La spiritualité dans les Oasis en Tous Lieux 23
Autonomie et autarcie 24
De l'usage éthique des fonds publics 25
ANNEXES 26
Rappel des idées forces du Manifeste pour des OASIS en Tous Lieux 27
Etude de faisabilité d'un projet Oasis 28
Approche méthodologique pour la phase de réalisation 29
Reconnaissance d'une Oasis

LES CONSTATS

CROISSANCE ÉCONOMIQUE OU DÉVELOPPEMENT
HUMAIN ? LA NÉCESSITÉ D’UNE ALTERNATIVE


Selon un nombre important de personnes, l'époque actuelle est en mutation. Il est vrai que les fondements
de nos sociétés semblent décliner sans que s'affirme clairement ce qui doit prendre le relais.
Cette phase transitoire oblige beaucoup d'interrogations sur la politique, l'économie, l'écologie, la société, et jusqu'au sens
même de nos existences. Le modèle industriel, l'ordre du monde d'après-guerre nous avaient installés dans une logique
que rien ne semblait pouvoir remettre en question. Après une croissance économique et une expansion sans précédent sur
fond de guerre froide et d'équilibre de la terreur, la fausse récession est là pour justifier l'inéquité et l'injustice croissante.
Elle est là en même temps que se déchaine le libéralisme économique radical débarrassé de l'idéologie qui prétendait le
limiter et le combattre. Tout cela se traduit par une crise d'une grande ampleur, une sorte de déconvenue.
Un nombre toujours croissant de femmes et d'hommes dans les pays dits développés, et encore plus ailleurs, subissent
dans leur vie quotidienne les effets ravageurs de cette déconvenue. L'examen, par exemple, de la situation française,
comme l'un des cas pourtant les moins défavorisés dans le monde, fait apparaître malgré tout le rôle grandissant de
l'humanitaire contre le palliatif aux défaillances grandissantes de l'humanisme. Il suffirait de faire abstraction de substituts
tels que : Emmaüs, les Restos du Coeur, les secours de toute nature et la multitude des SOS, d'associations et de personnes
engageant leur générosité sur tous les fronts, pour mesurer le niveau réel de détérioration de notre société dans laquelle la
précarité et la détresse sont en expansion rapide et continue, en dépit de l'accroissement global des richesses.
L'Etat quant à lui est de plus en plus contraint de faire face dans l'urgence à des situations qui le submergent, et compense
les désistements de la « nation-entreprise » à l'égard des citoyens qui la composent par des palliatifs de survie (RMI, CES,
indemnités chômage…).

Dans ce contexte, la personne humaine n'ayant de réalité que par sa fonction et son revenu, dès lors que ces attributs lui
sont confisqués elle est comme « oblitérée » et entre dans un processus qui l'annule socialement. Nous n'irons pas plus
loin dans la complexité de ce phénomène et nous en tiendrons à ce qui est utile à notre propos.
A notre avis, c'est dans les termes développement et croissance que se situe une des grandes confusions d'aujourd'hui.
Il est donc important de nous prononcer sur leurs définitions.
La croissance économique suppose la subordination des activités productives humaines à l'accroissement continu des
ressources financières et donc du P.N.B de la nation. Cette augmentation repose sur les règles de la compétitivité et révèle
ses défauts et limites de diverses manières :
• elle concentre les richesses entre les mains de minorités humaines, nationales et transnationales
• elle ne peut se faire sans exclusion et misérabilisation continue du plus grand nombre
• elle détériore le système vivant (biosphère) et épuise les ressources planétaires
Le développement n'a de sens, selon nous, que si on y ajoute « humain ». Le développement humain suppose la priorité
absolue à la satisfaction des besoins élémentaires et matériels pour tous : nourriture, abri, vêtements, soins, comme bases
essentielles à la satisfaction des biens immatériels psychiques, affectifs, esthétiques, spirituels d'une façon générale. Cela
implique bien entendu le respect mutuel et le respect du support vivant et des ressources dont dépend notre survie.
Dans le contexte actuel et avec les acquis techniques et scientifiques dont nous disposons, la crise, telle qu'on l'entend,
apparaît comme une fausse crise. Car ce ne sont en effet ni nos capacités à produire ou à innover ni les ressources planétaires
qui font défaut, mais la morale et l'équité, qui devaient présider à leur gestion, remplacées par l'égoïsme et l'avidité.
Peut-on avancer sans pédanterie que notre système d'organisation planétaire est déterminé par le sentiment d'insécurité lié
à l'hominisation : survie biologique et crainte de la finitude ? La dévotion aux forces de la mort que représente par exemple
l'accumulation extravagante des armements n'est-elle pas à la mesure de l'angoisse individuelle et collective générée par
notre espèce ? Pour qu'il y ait une véritable mutation, n'avons-nous pas à travailler à l'humanisation, c'est-à-dire à notre
affranchissement à l'égard de ce qui nous enlise dans la peur et dans la violence directe et indirecte ?
La crise est, à l'évidence, dans la conscience individuelle et collective de l'humanité, non dans les institutions et les
structures qui n'en sont que les représentations et les outils.

CHANGER DE RÉFÉRENCE : LA LOGIQUE DU VIVANT

D'une façon générale et sur le plan structurel, nous pensons qu'il ne peut y avoir d'alternative globale sans changement radical de la logique qui domine le monde d'aujourd'hui. Il faudrait renoncer au profit sans limite et à l'obligation de croissance et se rallier à la logique du vivant, seule garante de la pérennité de notre espèce. Ce que nous essayons d'exprimer par le schéma qui suit :

MODÈLE DOMINANT

Concentration et spéculation
Épuisement et disparition des ressources
Destruction de la biosphère et de l’humain
Le temps, c’est de l’argent
La terre nous appartient

LA LOGIQUE DU VIVANT

Renouvellement, pérénité, échange
Dynamisme entre les espèces vivantes
Le temps, c’est de la vie
Nous appartenons à la terre


PRIMAUTÉ DE L'ÉDUCATION

Il semble en effet très difficile de change de logique sans changer d'éducation. Celle-ci détermine dès l'enfance la
représentation mentale que nous aurons de la réalité dans laquelle nous sommes inclus, et, par conséquent, la qualité
de notre relation aux autres et à la nature. Nous héritons des « valeurs » de notre famille, de notre groupe social, de notre
nation. Nous sommes profondément conditionnés, endoctrinés, et comme programmés.
En même temps qu'il uniformise et banalise les valeurs, le monde moderne fait de l'antagonisme son plus grand principe
dynamique. Il semble que selon ce principe, chacun de nous ne puisse exister sans quelque préjudice causé à autrui. Le
principe darwinien de lutte pour la survie biologique est transféré à celui des échanges économiques et marchands ; sauf
qu'un lion se nourrit d'antilope, mais n'a pas de « banques antilopes ».
L'éducation compétitive nous fait obligation de tenter d'atteindre les degrés les plus élevés d'une pyramide humaine à
l'échelle de la planète. Cette pyramide concentre au sommet une caste sociale internationale de plus en plus restreinte, mais
toujours plus démesurément riche (club mondial des hyper-nantis), au détriment d'une masse considérable qui aura, par
son travail et ses délégations politiques, contribué à cette disparité. Ainsi, dès leur apparition, les enfants entrent dans la
vie comme en une arène où chacun doit se préparer à mener sa propre lutte contre le destin et les autres avec comme
« managers » la famille, le groupe social ou national.
Les enfants de la nation sont préparés à être de bons soldats de l'économie : une vie réussie se mesure à l'aune des acquis
matériels et de la considération. Et lorsque sonne l'heure du déclin auquel nul ne peut échapper, cette vie « réussie » souffre
parfois d'avoir été consumée par les valeurs de l'avoir au détriment de l'accomplissement et d'une réelle évolution de l'être.
Chacun de nous peut encore observer l'inadéquation qu'il y a entre éducation et réalité du monde aujourd'hui. Les nations
continuent de préparer leurs enfants sur la base du dogme de la croissance économique et de la compétitivité, alors qu'à
l'évidence une autre anticipation est à faire pour sortir de l'illusion et du piège de la mondialisation. Sans cette anticipation,
nous assisterons de plus en plus à l'amoncellement de jeunes naufragés sur les rives d'une histoire douloureusement
absurde, avec ses dramatiques conséquences qui sont d'ailleurs déjà de fait.
Nous souhaitons donc de toute notre raison et notre coeur une éducation qui ne se fonde pas sur l'angoisse de l'échec, mais
l'enthousiasme d'apprendre. Une éducation qui révèle l'enfant à lui-même tout en lui révélant les richesses, l'énergie et la
beauté qu'offre le monde à son alliance vitale et non à son avidité insatiable et destructrice. Une éducation qui abolisse le
« chacun pour soi » pour exalter la puissance de la solidarité. Une éducation où le pouvoir de chacun soit au service de tous.
Car demain ne pourra pas être sans la coalition des forces positives et constructives dont chacun de nous est le dépositaire.

LES PROPOSITIONS
LES OASIS EN TOUS LIEUX COMME UNE DES ALTERNATIVES
À L'IMPASSE QUI SE CONFIRME AUJOURD'HUI

On peut dire brièvement que l'oasis est par définition un écosystème artificiel (permaculture), une île de survie, sur des territoires généralement arides et inhospitaliers. Cet îlot doit son existence à la capacité des êtres humains à tirer parti de l'eau (disponible en surface, amenée par canaux souterrains ou tirés des puits), de la terre et d'un arbre qui en fait une grande herbe appelée palmier. Cette herbe/arbre réunit des qualités telles que résistance à la chaleur, au vent de sable, tout en étant un merveilleux nourricier avec ses fruits (dattes) à haute valeur nutritive. Le dattier s'érige comme un parasol et procure une ombre et une protection sous laquelle d'autres arbres fruitiers (pêchers, grenadiers, abricotiers, figuiers, orangers, citronniers, etc) peuvent survivre, protégeant eux-mêmes le sol qui peut, à son tour, produire une large gamme de légumes, de légumineuses, de fourrages, de céréales : c'est la fameuse formule des cultures à trois étages.
Si l'on ajoute les animaux : chèvres, moutons, ânes, chevaux, mulets, volailles et même bovins, on a ainsi un système à la
fois complexe et riche mais fragile. Ce système a contribué à la croissance et à la survie oasiens, il a modelé leur caractère,
déterminé des conventions sociales et un code de gestion collective très rigoureux fondé sur une éthique de l'usage de l'eau
et de la terre. Ce système comporte bien des valeurs exemplaires, même si l'on doit par ailleurs déplorer ici ou là et par le
passé le recours à l'esclavage pour son entretien.
Lieu de félicité entre réalité et symbole, l'oasis hante les esprits d'une nostalgie vivace, celle du paradis perdu mais dont
les hommes ont tenté de ressusciter de leurs mains d'humbles fragments. Lieu essentiel, comme une parcelle de tropique,
entre chaleur et eau sur des territoires hostiles à la présence humaine.
C'est sur ces considérations concernant l'oasis concrète, son rôle, son pouvoir, sa symbolique, que le concept « d'oasis
en tous lieux » nous a été inspiré. En effet, le monde contemporain souffre de désertification non seulement physique et
biologique, mais aussi économique, sociale, éthique et politique.
Entre les dérives des villes surpeuplées ou évoluent misère, exclusion et violence, et des campagnes où évoluent abandon
et friches, notre conviction est qu'un nouveau projet de société n'est possible, au nord comme au sud, que par la synthèse
des valeurs et des acquis du monde rural et de la société urbaine.

"""Paul, André, Nathalie, Jacqueline ou toute autre personne a pris conscience de cette dérive. Cette personne se
sent menacée ou non par la précarité ou bien elle est déjà dans la précarité. Elle peut aussi n'être déterminée que par la
seule quête d'un sens à sa vie. Dans le contexte de mutation sociale majeure d'aujourd'hui, cette personne rêve de s'installer
à la campagne. Elle est prête au partage du travail ou à tout autre disposition dans le domaine de la répartition des activités
économiques, le plein emploi pour tous étant à l'évidence révolu. Elle pense que la réduction de ses revenus financiers n'est
pas compatible avec les charges fixes qui lui incombent dans la vie urbaine. Par contre, s'installer à la terre pour y produire
légumes, fruits, volailles, miel, lait, etc, constituerait une base économique substantielle en même temps qu'un mode de
vie libéré du stress, dans le silence, l'air pur, une nourriture de qualité et bien d'autres valeurs auxquelles elle rêve pour elle même et ses enfants.
Cette base fondamentale assurée permet sous la formule de pluriactivité, d'exercer toute autre activité lucrative ou non selon
sa situation, ses choix et ses aspirations.
Cette personne sait d'une façon profonde que le rêve aide à vivre mais ne fait pas forcément vivre. Si ce rêve devient projet,
elle aura à le construire avec rigueur en évaluant les ressources matérielles mobilisables et la détermination morale
indispensable, car des obstacles seront probablement à franchir. Il faudra acquérir des savoirs et des savoir-faire par de
sérieuses initiations, par l'examen et l'étude d'initiatives réussies et convaincantes en rejoignant des réseaux de gens
engagés dans la même démarche, etc. Ces rencontres peuvent favoriser des convergences, des projets communs, des
alliances entre ceux qui disposent de lieux et ceux qui en cherchent, etc. Ce chemin peut être ardu mais il est celui de la
reconquête de la responsabilité par la participation de chacun au devenir collectif """

OÙ EN SOMMES-NOUS ?

Depuis que le concept « Oasis en tous lieux » a été proposé comme une des alternatives possibles, il a suscité non seulement
beaucoup d'intérêt au plan du principe et de la symbolique, mais a généré une sorte de « mouvement ». Celui-ci est révélateur
des attentes plus ou moins exprimées de nombreuses personnes de toute provenance et condition sociale. Le dénominateur
commun entre ces personnes étant une aspiration au changement, pour elles-mêmes et pour la société, ainsi que le désir de
construire de nouveaux espaces de vie sociaux et économiques, selon une logique compatible avec le sens sur lequel elles
désirent fonder leur existence.
De nombreuses rencontres ont déjà eu lieu. Elles ont permis d'avancer dans l'affinement et la précision du concept. Des
projets sont en gestation, des sites de concrétisations existent sous diverses formes. A l'occasion de ces rencontres, des
affinités et des sympathies se nouent, des groupes se forment autour d'un même projet, d'autres se défont pour se refaire
autrement. Ce forum permanent d'idées, d'échange et de réflexion commune a été très riche et nous espérons qu'il le sera
davantage, même si tout cela n'échappe pas à une certaine confusion que ce manifeste tente de réduire.
Confondu à l'origine avec l'association des Amis de Pierre Rabhi (aujourd'hui Terre et Humanisme), le mouvement Oasis en
tous lieux poursuit aujourd'hui son chemin en affirmant sa dynamique propre. Les coordinateurs et correspondants locaux du
mouvement (une trentaine à ce jour) se réunissent tous les trimestres afin de réfléchir et agir dans la perspective tracée par ce
manifeste, et réalisent un bulletin de liaison trimestriel diffusé au sein du réseau.
Les relations du mouvement Oasis en tous lieux avec l'association Terre et Humanisme se construisent aujourd'hui dans le
dialogue et l'échange, la personne de Pierre Rabhi faisant naturellement le lien entre les deux entités réunies par ailleurs,
depuis fin 1999, sous le toit collectif du Mas de Beaulieu à Lablachère (07).
Cependant, pour éviter les dérives toujours possibles, il est important d'apporter quelques éléments de clarification concernant ce que recouvre le concept « Oasis en tous lieux ».
L'objet des quelques considérations qui suivent est de veiller sur une sorte de labellisation morale à laquelle nous tenons
absolument, compte tenu de la responsabilité qui nous incombe en tant que promoteurs du concept.
Certains des points que nous proposons à votre réflexion nous ont été inspirés par les questionnements qui sont apparus à
travers les échanges et les débats. D'autres, comme la terre nourricière, l'autonomie individuelle, l'autonomie collective et l'ouverture au monde, la question spirituelle, font partie des critères fondamentaux du concept. C'est à dire que tout projet qui se réfère au principe Oasis en Tous Lieux ne peut être entériné sans adhésion aux valeurs dont ces points sont l'expression

LES FONDEMENTS

IMPLICATION LOCALE

Les Oasis en Tous Lieux sont animées par la volonté d'intégration au contexte socio-économique du milieu d'accueil. Face à
la désertification rurale en évolution, elles proposent la prise en compte, la valorisation, et la réhabilitation des espaces agricoles et nourriciers, la lutte contre la friche, l'embellissement du paysage. Elles constituent un apport de population pour la redynamisation des institutions et des services publiques. Elles sont forces de proposition par la création de ressources et un enrichissement en compétences humaines. Elles ne sont ni des ghettos ni des enclaves dans l'espace géographique et social
qui les environne.
Pour toutes ces raisons, leur rapport aux structures administratives, aux élus locaux, se fonde sur le dialogue, la concertation,
la coopération dans l'intérêt du pays et des terroirs. Par la mise en valeur des ressources locales, elles contribuent au maintien
ou à la réhabilitation du terroir et de sa spécificité écologique et culturelle.
Implantées dans le milieu rural, les Oasis en Tous Lieux ne constituent pas un repli à l'égard du monde urbain, mais un pôle
complémentaire. Des échanges économiques solidaires sont souhaitables ainsi que des services. La constitution de collectifs
urbains solidaires organisés et en relation avec les Oasis est également envisageable et souhaitable. Ainsi, hors de tout clivage ou antagonisme, serait prise en compte la problématique globale ruralo-urbaine de la société d'aujourd'hui. Il s'agit en
l'occurrence d'une sorte de fédération des intelligences et des consciences présentes en tous lieux et désireuses de contribuer
à l'indispensable mutation d'une société dans l'impasse.

TERRE NOURRICIÈRE ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE COMME FONDEMENT ÉCOLOGIQUE, ÉCONOMIQUE ET ÉTHIQUE

Un nombre considérable de citoyens n'a qu'une conscience limitée des enjeux liés à ce que l'on pourrait appeler « la
problématique de la terre nourricière ». Ce constat est non seulement décevant mais tout à fait inquiétant car il nous donne
la mesure de la gravité du « divorce » entre les humains et la source principale de leur vie et de leur survie.
Avec la terre nourricière, nous avons affaire à un élément qui, comme l'air, l'eau, la chaleur, la lumière, concerne, sans exception, chacun de nous. Tous ces éléments ne sont d'ailleurs pas dissociables, puisque c'est à leur présence et leurs interactions que nous devons l'existence. L'écologie a beaucoup fait pour attirer l'attention de l'opinion publique sur les graves menaces qui pèsent sur la qualité de l'eau et de l'air. La terre en tant que glèbe tangible et vivante n'a pas bénéficié de la défense active que nécessitent les exactions dont elle est victime. Depuis que cette glèbe (à laquelle l'art agricole, depuis des millénaires, a donné pour mission fondamentale de nourrir le genre humain) a été asservie à la production de capital financier, elle n'a cessé de subir l'oppression de la chimie et de la mécanique qui en ont dissipé et détruit les principes vitaux. Par ailleurs, l'inconscient collectif ne semble pas s'être affranchi de l'image du paysan dont le rôle serait ingrat et subalterne dans le « paysage social ». Le paysan est devenu « exploitant agricole », comme pour se mettre à jour d'une modernité exaltée par le triomphe du progrès technique. Il est devenu un industriel de la terre. Peut-être faut-il leur adjoindre le règlement d'un certain contentieux psychologique.
Le cheval vapeur, l'énergie fossile, la mécanique et la chimie se sont substitués aux moyens traditionnels de production basés
sur l'énergie métabolique humaine et animale, avec les limites qui les caractérisent. Cette intrusion du principe minéral s'est
faite sans égard pour la terre, la terre a été adaptée à la technologie. Cette inversion est à l'origine du bouleversement du
paysage rural avec ses damiers déserts de blé, de maïs, de betteraves, etc., au détriment des bocages, des parcelles
circonscrites de haies révélant le caractère, la personnalité et la diversité des terroirs et de leurs habitants. Par ailleurs, une partie très importante de la production végétale n'est destinée qu'à la production de protéines animales dans des conditions de
concentration, de manipulation et de souffrance qui heurtent la sensibilité et la conscience. Le bilan de cette option met en
évidence ses effets pervers : pollution des eaux, dégradation des sols, perte des espèces végétales et animales,
désorganisation des systèmes autonomes, etc. C'est ainsi que la nourriture humaine est devenue matière à spéculation et
source de nuisances pour la santé, avec des transits planétaires incessants des moyens de transport coûteux et polluants et
produisant, au gré de la seule loi du marché, pléthores et pénuries artificielles.
Ce grand scénario a eu pour effet décisif de confisquer à de nombreuses communautés humaines le pouvoir de survivre de leurs ressources propres et de contribuer à des famines chez les plus fragiles. Cet « ordre des choses » n'est pas sans menace de ruptures des flux alimentaires, en dépit d'une abondance fondée sur une sorte de flux tendu au détriment de l'épargne alimentaire et de la prévoyance. Chaque jour, des millions de citoyennes et citoyens poussent des caddies remplis de victuailles dont ils ignorent la provenance et le mode de fabrication. Certaines de ces victuailles auront couvert des milliers de kilomètres pour arriver dans l'assiette du consommateur, alors que les conditions pour les produire localement - terre, eau, végétaux, minéraux, savoirs et savoir-faire - sont neutralisées. Produire et consommer localement devrait être un grand mot d'ordre international, sans exclure les échanges complémentaires à la satisfaction des besoins de chaque communauté. Ces échanges ont été à la base des grandes évolutions humaines. Le commerce a été civilisateur, le business libéral moderne est une forme extrêmement pervertie car elle s'appuie sur les échanges de nécessité pour servir la dictature marchande.
Il serait intéressant d'analyser le contenu des camions qui se croisent sur les routes et autoroutes. Cela nous remettrait en
mémoire une anecdote réelle et significative : « un camion de tomates quitte l'Espagne pour la Hollande. Un autre camion de
tomates quitte la Hollande pour l'Espagne ! Ils se percutent sur une nationale et les tomates hollandaises et espagnoles se
trouvent confondues… »
L'aberration concernant la nourriture est banalisée comme est banalisée par exemple la marchandisation croissante de l'eau.
Cet autre élément vital a été au long de l'histoire un don suprême de la nature, suffisamment abondant, libre et gratuit. Les
marchands le conditionnent, le distribuent en l'emprisonnant dans des bouteilles en plastique. À quand le conditionnement
de l'air après l'air conditionné ?... Nous sommes, avec ces éléments, au coeur des enjeux les plus graves pour le futur.
Cette brève analyse, si elle mérite d'être entérinée, devrait faire prendre conscience de l'urgence qu'il y a pour chacun de
nous, chaque fois que c'est possible, de participer à la reconquête de l'indispensable autonomie alimentaire.
C'est un acte non seulement économique, mais un acte de légitime résistance.
Un autre aspect de la question, et non des moindres, a été révélé avec fracas par le phénomène de la « vache folle ». Cela a
mis en évidence une transgression de taille. Il s'agit en l'occurrence d'une des manifestations de la folie humaine dont sont également victimes les arbres fruitiers, les légumes, les poissons, les volailles, les porcs, les moutons, la terre… S'ils avaient des moyens aussi spectaculaires de l'exprimer !... Sur le chemin de la transgression et du non-respect des règles élémentaires de la vie, bien des sanctions nous attendent. Ces sanctions affectent déjà sournoisement notre physiologie et notre mentalité ; les « tripotages » génétiques nous promettent, sans aucun doute, d'autres grandes surprises. Ces considérations, pour ceux qui les entérinent, plaident tout naturellement pour une légitime résistance. C'est pourquoi cultiver la terre, que ce soit un simple jardin ou des surfaces plus importantes, soigner, aimer et respecter cette terre, lui donner vie pour recevoir la vie est le premier principe sur lequel se fondent « les Oasis en Tous Lieux ».
D'une façon très objective, celui qui dispose de terre, d'eau et de courage aura réuni des valeurs sûres, garantes au moins de sa survie alimentaire dans un monde où la précarité est une menace à laquelle de moins en moins de gens sont sûrs d'échapper. Par ailleurs, pour notre évolution personnelle, cultiver la terre nous rattache aux principes sur lesquels se fonde la permanence dans une société de l'éphémère. La terre nous permet de goûter aux cycles, aux cadences et à la patience universels dans un monde dominé par la frénésie. Elle nous conduit enfin, si nous en avons le désir, au plus près des forces mystérieuses de la fécondité et de la Vie.

HABITAT ET OASIS EN TOUS LIEUX

Le mouvement vers la vie rurale que nous observons aujourd'hui ne peut que s'amplifier. Les villes n'ont, en quelque sorte,
plus le rôle qui fut le leur comme pourvoyeur d'activités et de ressources. Elles représentent pour un nombre grandissant de
personnes des lieux de contrainte plus que de vie. Dans ces conditions, il sera nécessaire que la question foncière soir révisée
et repensée pour satisfaire à une demande en évolution croissante de candidats à la ruralité. Il paraît absurde que la friche
puisse s'étendre indéfiniment sans tenir compte de ce qui s'offre à la réduire. Il serait souhaitable que l'accès à un peu de terre
puisse bénéficier de décisions politiques.
Le problème de l'habitat se pose d'une façon plus délicate encore. Le bâti en milieu rural est soit encore fonctionnel (fermes en activité), soit occupé par des ruraux ayant une activité urbaine, soit par des retraités ou des résidents d'été un ou deux mois par an. Dans cette configuration, il ne reste que le bâti disponible à la vente, mais à des prix peu accessibles à des bourses moyennes, petites ou… plates. Si l'on considère que les habitats disponibles et habitables sans intervention sont minoritaires, des investissements de restauration sont souvent nécessaires et il paraît important de promouvoir un habitat écologique à faible coût.
Dans le cadre des Oasis en Tous Lieux, mises à part les conditions les plus favorables où la terre, les bâtiments d'habitat et
de travail coexistent et peuvent être acquis, le problème du bâti reste un facteur handicapant. C'est pourquoi il sera nécessaire
d'envisager un travail très particulier sur cette question.
On pourrait prendre comme thème l'habitat à faible coût en définissant une base minimale, une sorte d'embryon d'habitait
répondant aux nécessités immédiates mais évoluant et s'amplifiant à la mesure des besoins jusqu'à l'optimum. Le principe
alternatif devrait guider la conception. Alternatif signifiant : adapté aux réalités d'aujourd'hui et faisant appel à des savoirs et
des matériaux conventionnels ou non et des technologies tenant compte d'une occupation des espaces sans nuisance (y
compris visuelle) et la valorisation des énergies gratuites et renouvelables. Ce travail concret sur les prototypes est de nature
prospective car il anticipe sur ce qui sera à l'évidence nécessaire pour demain. Le souci d'une accessibilité au plus grand
nombre et, par conséquent, d'une reproductibilité peu onéreuse devrait guider la démarche. Des réalisations exemplaires
existent comme prototypes ici et là. En faire l'analyse et l'évaluation devrait nous inspirer.
En attendant un travail plus approfondi, voici quelques critères :
• Harmonisation avec l'espace et le paysage,
• Réduction de la consommation d'énergie non renouvelable,
• Gestion économe de l'eau dans l'usage au quotidien ainsi que son épuration, son recyclage, etc.
• Utilisation des énergies solaires, éoliennes etc.
Toutes ces innovations ne sont pas à faire, mais à rassembler sur la création de prototypes bien définis sur le coût, leur mise
en oeuvre et leur finalité, et susceptibles d'être reproduits avec toutes les nuances nécessaires. Des groupements d'habitats
de ce type sur des espaces nourriciers pourraient s'ordonner en Oasis solidaires.

PROPOSITION D'ORGANISATION PRATIQUE
ESPACE INDIVIDUEL, ESPACE COLLECTIF


Nous sommes résolument favorables à l'espace individuel.
C'est à dire à des domaines bien circonscrits dans lesquels chaque personne, chaque couple ou famille puisse se sentir
souverain et responsable. L'espace individuel ne concerne pas seulement la répartition géographique du sol ainsi que
l'autonomie économique. Chacun doit assumer son destin en produisant, gérant ses ressources propres, avec son habitat,
sa terre, ses revenus. Il est ainsi responsable de ses résultats, de ses bilans et de son comportement à l'égard de ses
ressources. La proximité des autres, bien vécue, est cependant d'un avantage considérable en terme d'échange, d'entraide.
Rien n'empêche également des péréquations financières fondées sur la régulation des ressources.
Cela nous paraît faire partie des décisions collégiales qui requièrent le consentement de tous et non d'un principe a priori. Au delà de l'espace individuel, un espace collectif est souhaitable, car il permet la convergence, il sous-tend et nourrit la synergie, la cohésion des projets ou des activités et des compétences. Il permet la mise en commun de moyens, infrastructures d'accueil, outillage, véhicules, atelier de transformation.

LES AÎNÉS DANS LES OASIS EN TOUS LIEUX

Nous n'avons pas envie d'employer ici les termes de 3ème ou 4ème âge qui relèvent d'une catégorisation ambiguë. Il semble
qu'avec ces classifications le monde moderne s'évertue à édulcorer ce qui révèle son égoïsme et peut-être même une certaine
cruauté. La vérité est banale : lorsque la personne humaine n'a plus la vigueur pour servir la machine économique ou institutionnelle, elle se retire de la « vie active » pour finir sa vie avec une pension à laquelle lui donne droit sa participation à une mutuelle.
Sortir de la vie active signifie pour beaucoup entrer en solitude. N'étant plus officiellement acteurs du devenir collectif, les
retraités sont en réalité humainement en marge du corps social sur lequel ils n'influent que par leurs subsides et leur délégation électorale, que les démagogues savent courtiser. Ce retranchement impliqué, si l'on peut dire, est tout à fait paradoxal et ne semble pas avoir existé dans l'histoire, où traditionnellement les générations étaient organiquement liées et dépendantes les unes des autres, dans un processus parfois difficile mais sans ruptures.
La condition des anciens dans la modernité n'aurait donc pas d'équivalent dans l'histoire. Elle est en quelque sorte artificielle
et inquiétante pour le futur, lorsque la solidarité institutionnelle basée sur le pouvoir de l'argent ne pourra plus jouer son rôle et que la solidarité naturelle basée sur l'assistance mutuelle entre générations sera révolue. Pour l'instant, certaines personnes
vivent leur retraite avec un certain bonheur, libres enfin de réaliser des rêves souvent ajournés par les obligations professionnelles ou familiales, disponibles pour des actions humanitaires, pour visiter le monde, s'occuper de leur descendance, se cultiver, etc. Croire que cela puisse se perpétuer serait irréaliste. Nous savons d'ores et déjà que l'équilibre actifs/inactifs, productifs/improductifs, cotisants/non-cotisants est en train de se rompre inexorablement et qu'une impasse majeure se prépare. En un mot, la société ne pourra pas assumer ses vieux selon la logique d'aujourd'hui. C'est pourquoi nous avons jugé nécessaire à notre petit niveau d'anticiper sur ce qui peut devenir un véritable drame. Bien qu'ils ne soient pas tous des sages accomplis, les aînés représentent tout de même une formidable richesse humaine d'expérience, de connaissance, de pondération que les Oasis auraient grand intérêt à intégrer. Cela contribuera à témoigner :
• Que l'humain n'est pas fractionnable et que tous les âges font partie du même processus exprimant l'unité de la vie, dans son élan millénaire,
• Que les acquis des aînés et leur énergie sont utiles à l'édification des Oasis,
• Qu'une anticipation sur la solidarité indispensable dans l'avenir relève de la responsabilité des citoyens et de la conscience
individuelle et collective et pas seulement des décisions politiques.
Par ailleurs, les aînés disposant de moyens économiques peuvent les mobiliser à l'intérieur des Oasis en échange de travail :
construction, entretien, services, contribution à un fonds pour des prêts solidaires etc.
Reconstituer la solidarité entre les générations est non seulement une bonne et belle initiative mais la mise en chantier d'une
réorganisation indispensable pour le futur.

AUTRES REFLEXIONS

LA PLURIACTIVITÉ


Les Oasis étant par définition des lieux autonomes, ouverts, et non autarciques et fermés, peuvent trouver leur équilibre à
l'interne et à l'externe.
L'orientation actuelle de la société semble mettre en cause le plein-emploi pour tous. Il est donc nécessaire d'imaginer des
modes de fonctionnement qui anticipent sur un futur où le salariat ne serait pas le seul modèle. Aujourd'hui, la question devrait être « Comment faire pour limiter mon besoin en argent ? » et non « Comment gagner plus ? ».
La responsabilité qui est conditionnelle dans la démarche Oasis met chacun en situation de solliciter ses propres capacités
de générer ses ressources sur la base de ses aptitudes et de ses innovations.
C'est pourquoi la pluriactivité est une option réaliste qui correspond bien au fonctionnement nécessaire dans le contexte de
la déstructuration de l'organisation qui a prévalu durant les « Trente Glorieuses ».
La pluriactivité dans l'Oasis peut signifier l'apport de ressources par une activité extérieure à l'Oasis (exemple du couple dont l'un des conjoints a un emploi à l'extérieur et l'autre assure le revenu économique en nature, ou de la personne en télétravail liée à un emploi à l'extérieur et le complétant en nature également). Tous les cas de figure sont possibles dès lors qu'ils ne portent pas atteinte aux valeurs de base et ne nuisent ni à la cohérence ni à la cohésion de l'Oasis, et qu'ils n'occultent pas l'engagement moral d'assistance mutuelle dans les difficultés.

LA SPIRITUALITÉ DANS LES OASIS EN TOUS LIEUX

Question délicate qu'il faut traiter avec circonspection car elle aborde l'un des domaines les plus sensibles et nous ne voulons
heurter personne. Il ne serait toutefois pas prudent ni honnête de laisser les choses dans le flou.
Tout ce qui a été dit précédemment témoigne de notre non-engagement à l'égard d'une appartenance spirituelle faisant l'objet
d'une adhésion formelle. Nous affirmons cependant que la crise qui nous traverse et que nous traversons est d'ordre spirituel. Il nous incombe de déclarer clairement et sans aucune équivoque qu'il n'y a pas de message spirituel défini dans la démarche Oasis en Tous Lieux.
Spirituel signifie ce qui est distinct de la matière. Intégrer cette dimension immatérielle à notre vie fait partie de nos besoins légitimes. Pour la plupart d'entre nous, cette dimension est même implicitement sujet et objet de notre quête de sens, et moteur de certaines de nos initiatives dans un monde dominé par la matérialité. Cependant, l'espace dit « spirituel » n'échappe pas toujours aux ambiguïtés et peut même devenir, comme l'actualité en témoigne, prétexte aux pouvoirs et aux sectarismes les plus périlleux et à diverses psychopathies collectives. Nous récusons avec force tout ce qui manipule, extorque, endoctrine.
Dans les projets Oasis, l'espace spirituel est d'ordre intimement et strictement privé, et chacun doit assumer ses responsabilités en l'occurrence. Plutôt que de proclamer des vérités, nous préférons nous inviter mutuellement à nous rejoindre sur les valeurs simples telles que le respect, la bienveillance à l'égard de ceux qui nous entourent, une démarche sobre, la compassion, la solidarité, le respect et la sauvegarde de la vie, la gratitude pour tout ce qui nous est offert pour notre bien-être physique et moral.
Le mouvement Oasis en Tous Lieux est libre de toute référence spirituelle, religieuse, philosophique et politique

AUTONOMIE ET AUTARCIE

Ces deux notions se confondent parfois. Dans le cadre des Oasis en Tous Lieux, l'autonomie pourrait se définir par la
capacité que peut avoir une personne ou un groupe de personnes à mettre en valeur ou créer des ressources nécessaires
à la satisfaction de ses besoins. Cette mise en valeur s'accomplit grâce aux savoirs, savoir-faire, et à toute innovation dont
est capable l'individu ou le groupe. Dans l'histoire humaine, cette capacité a été à la base du développement et de la survie.
Les groupes humains représentaient naguère une mosaïque d'entités autonomes adaptées aux diverses situations imposées
par la nature : le climat, les ressources disponibles pour se nourrir, s'abriter, se vêtir, soigner ses maux, etc. L'oasis réelle,
comme création dans les espaces arides et inhospitaliers, est une vivante leçon d'autonomie.
L'autarcie peut sous-entendre la capacité d'un individu ou d'un groupe à suffire intégralement à ses besoins, sans recours à
des biens et des valeurs extérieures. Cette attitude prédispose en général à l'enfermement comme règle d'existence.
L'autarcie, ce retranchement du contexte social sous divers mobiles est en général révélateur de crainte et générateur
d'intolérance et de sectarisme, ce qui est à l'opposé des valeurs qui nous animent.
Cependant, l'autonomie, aussi large soit-elle, reste ouverte à l'échange car elle ne peut prétendre subvenir à l'intégralité des besoins du groupe, et l'échange lui est indispensable, à la fois pour les compléments matériels et pour une ouverture au monde pour son enrichissement moral. Le commerce, par exemple, a été à la base des grandes civilisations. C'était une sorte de régulateur de la nécessité.
Il est à remarquer qu'aucun organisme biologique ne peut vivre sans échanger, et il semble que cette loi soit immuable et
irrévocable.
Les Oasis en Tous Lieux sont donc des espaces d'autonomie ouverts à d'autres autonomies, à la réalité du monde
d'aujourd'hui et à toutes les valeurs d'échange matérielles et culturelles favorables à la convivialité planétaire et au progrès
humain.

DE L'USAGE ÉTHIQUE DES FONDS PUBLICS

Dans le contexte national d'aujourd'hui, les subventions que peuvent offrir l'État ou les institutions sont issues des deniers
publics, c'est-à-dire de la contribution de chacun de nous, à travers taxes et impôts, à la constitution d'un fonds financier sans
lequel ni l'État ni les institutions ne pourraient être. Elles résultent de l'effort collectif et les institutions ont pour charge de
les utiliser « à bon escient ».
Les Oasis en Tous Lieux ne sont pas prétexte à des solutions individuelles mais des laboratoires de recherche et d'innovation
sociale. Leur objectif est de contribuer, à leur façon et à leur niveau, à l'amélioration de la condition humaine dans notre société.
Il apparaît, dans ces conditions, tout à fait légitime que les subsides de la société puissent aider à la mise en place de ces
expériences. Au-delà, il ne reste que l'honnêteté et le sérieux des bénéficiaires qui « ne roulent plus » pour eux-mêmes mais
avec le souci d'une démonstration pertinente. Il s'agit d'une attitude éthique qui engage la conscience

LES ANNEXES

Annexe 1 RAPPEL DES IDÉES FORCES DU MANIFESTE POUR DES OASIS EN TOUS LIEUX

Les Oasis en Tous Lieux sont à construire. Elles consistent en des regroupements géographiques d'unités de vie (terrain
et habitat), fondées sur la terre nourricière et les échanges favorables à la reconstruction du lien social.
1 • Mettre l'humain et la nature au coeur du développement
2 • Recourir à la terre comme alternative pour un changement de vie
3 • Développer les cultures vivrières pour l'autosuffisance alimentaire selon les principes de l'agroécologie (produire sans détruire)
4 • Être acteur du développement local
5 • Établir une solidarité ville-campagne sur la base d'une fédération de tous ceux qui adhèrent aux valeurs que les Oasis
veulent servir et promouvoir
6 • Avoir un regard responsable sur nos besoins et nos modes de consommation. Adopter la sobriété de vie comme valeur de bien-être
7 • Recréer le lien social authentique par l'écoute, le partage et la solidarité
8 • Privilégier les échanges de proximité dans une démarche d'autonomie (système ouvert), et non pas d'autarcie (système fermé)
9 • Dans une Oasis, chaque personne est créatrice et responsable de son activité économique et financière
10 • Encourager les péréquations financières fondées sur la régulation des ressources
11 • Favoriser la pluriactivité des personnes à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Oasis
12 • Repenser l'accès à la propriété, son usage, et sa pérennité
13 • Promouvoir un habitat écologique à faible coût
14 • Privilégier un habitat de proximité qui respecte la vie privée de chacun
15 • Se souvenir qu'avant d'être un refuge, l'Oasis est à construire
16 • Unir les Oasis dans une dynamique de réseau, régionale, nationale, internationale
Le mouvement Oasis en Tous Lieux est libre de toute référence spirituelle, religieuse, philosophique et politique.

Annexe 2 ÉTUDE DE FAISABILITÉ D'UN PROJET OASIS

Pour passer du rêve à la concrétisation d'une Oasis, bien des obstacles seront à franchir. Cela vaut la peine car la société ne
résoudra pas tous nos problèmes, et les valeurs de bien-être auxquelles nous aspirons ne sont pas sur le marché mais
s'acquièrent dans une démarche de liberté qui unit volonté, patience, rigueur et réalisme.
Une étude de faisabilité est indispensable car elle permet d'évaluer objectivement les moyens mobilisables sur la base de
quelques paramètres fondamentaux.
Il va de soi que sans mobilisation intérieure, et volonté d'agir avec les autres, rien n'est possible.
En plus de cette première condition, voici quelques paramètres qui nous paraissent importants :
• Les moyens financiers existants, accessibles ou à rechercher,
• L'accès au foncier (achat, convention, location…),
• Le choix des statuts des personnes,
• La rentabilité économique du projet,
• Les compétences techniques existantes ou à acquérir (formation),
• La nécessité de consolider et de pérenniser les projets (continuité dans le temps).

Annexe 3 APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE POUR LA PHASE DE RÉALISATION

Il semble indispensable de définir un projet Oasis sur quelques principes structurants. Il est évident que des questions foncière, juridiques, financières se poseront dès la mise en oeuvre. Nous proposons à la réflexion les outils suivants, outre le présent manifeste :
Une charte Propre à chaque oasis, qui est une reconnaissance individuelle des valeurs communes auxquelles la démarche se réfère et que chaque signataire s'engage moralement à respecter.
Un cadre juridique Un statut permettant de définir les actions et les objectifs d'intérêt collectif et humain, dans l'esprit d'un laboratoire d'innovations sociales.
Un cahier des charges Document de référence fixant les modalités de fonctionnement du groupe (droits et devoirs, règlement intérieur, etc.).

Annexe 4 RECONNAISSANCE D'UNE OASIS

D'une façon générale, les rencontres Oasis comportent 3 phases :
• Une sorte de forum informel rassemblant des gens en recherche et de toute provenance et condition sociale.
• La constitution de groupes par intérêt, affinité, résolution commune, etc.
• Décision de passage à l'action, à la concrétisation, avec une évaluation des ressources et des moyens disponibles mis en oeuvre, en tenant compte des préalables et des conditions indispensables.
Le mouvement Oasis en tous lieux se fonde sur des valeurs et une philosophie. Comme nous l'avons dit précédemment,
notre responsabilité est engagée et nous tenons à une forme de labellisation morale afin d'éviter au maximum les dérives
possibles. Ainsi, tout groupe qui souhaiterait rejoindre le mouvement le fera en dialogue avec ce dernier et dans le cadre d'un échange régulier et permanent. Un réseau vivant et solidaire pourra être constitué.
Le mouvement Oasis en tous lieux se réserve donc le droit de ne pas reconnaître comme faisant partie du réseau des
personnes et des groupes qui ne respectent pas les idées et l'éthique formulées dans ce manifeste.
Le Bulletin du mouvement Oasis en tous lieux et les Nouvelles des amis de Pierre Rabhi permettront de dissiper les ambiguïtés à l'égard de l'opinion par des mises au point chaque fois que cela sera nécessaire.

Tous les contenus de cet ouvrage sont mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International.
Cela signifie que ces contenus sont réutilisables par quiconque et ce gratuitement moyennant le fait qu'il mentionne l'auteur (Pierre Rabhi) et qu'il partage
son oeuvre sous les mêmes conditions (licence CC by ND).

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